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Nouvelles_d'ailleurs

6 juillet 2008

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Toute la journée je n' avais cessé de penser à ma première rencontre avec elle. Allongé sur le sofa, les petites créatures sombres avaient disparues pour laisser la place au visage d' Anna. Elle souriait de ses dents blanches et parfaitement ordonnées. Ses jambes étaient bien trop longues pour tenir sur toute la longueur du plafond. Elle avait au coin de l' oeil droit, juste entre la paupière supérieure et le sourcil, un minuscule grain de beauté, très sombre et joliment dessiné. Une charmante fossette se dessinait profondément à chaque extrémité de ses levres et lui donnait des airs de petite fille timide. Elle possédait également une légère ride entre les yeux qui s' effaçait dès qu' aucune expression ne se dessinait sur son visage. Comment ai-je pu retenir tant de chose sur son apparence alors que je ne l' avais vue que l' espace d' un instant ? Tout ce que je savais jusqu' alors, c' était qu' elle vivait juste au dessus. Je la soupçonnais, à raison puisqu' elle me le confirma plus tard, d' être professeur de musique car très souvent de jeunes enfants et même parfois quelques adultes montaient jusque chez elle avant que ne débute une irritante leçon de piano aux notes désincarnées. Je la plaignais, la pauvre, de devoir subir de telles séances de torture. Plus tard je compris qu' elle était heureuse de pouvoir inculquer aux autres ce qu' elle avait mis tant d' années à apprendre et ce, même au prix de souffrances auditives parfois cruelles. Car malgré son grand professionnalisme, Anna ne parvenait pas toujours à faire d' un de ses élèves un pianiste accompli. Lorsque plus tard, bien après que l' on ai fait véritablement connaissance elle et moi, elle accepta que je participe en silence aux cours qu' elle donnait à ses élèves, je fut le témoin de situation parfois gênantes. Lorsqu' elle était obligée d' avouer aux parents d' un élève qu' il avait autant de talent qu' une roue carrée en a pour monter une cote, tous montaient sur leurs grands chevaux et finissaient par partir en claquant la porte de la pièce qu' Anna avait réservée à ses cours. On pouvait lire sur le visage de certains des enfants de ceux-ci un soulagement quand d' autres pleuraient à chaudes larmes. C' est en lui faisant part de mon étonnement qu' elle m' expliqua que très souvent le choix venait des parents et non pas de leur enfant qui n' avait d' autre solution que d' accepter de suivre les cours sans broncher. Alors quand Anna leur annonçait qu' il valait mieux lui choisir une autre passion, l' enfant était tout sourire. C' est durant ces moments pénibles pour Anna que je réapprenais à sourire, accompagnant l' élève dans sa joie. Elle me surprenais souvent lors des complicités qui naissaient alors entre l' enfant et moi et souriait à son tour. Elle m' avait appris que dans la majeure partie des cas, les enfants ne s' en sortaient pas davantage, leur parents leur trouvant une nouvelle "passion". Cela ne me choquais pas vraiment. Avec l' enfance que j' avais eue je ne comprenais pas pourquoi certains enfants pleuraient lorsque Anna annonçait à leurs parents qu' ils n' étaient pas faits pour le piano. J' avais le sentiment que beaucoup n' avaient pas conscience des drames que certains pouvaient vivre autour d' eux.

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27 juin 2008

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Putain ! Quel prénom. A croire que ma vieille m' avait prédit un avenir radieux dans l' impitoyable univers de la défonce. Me donner le même que l' un des membres fondateurs de la Beat Génération mort d' un cancer du foie était bien l' une des innombrables idées tordues qu' elle s' évertuait à pondre régulièrement. Ma mère avait toujours refusé de me donner le sein lorsque je n' étais encore qu' un bébé. Elle affirmait vouloir conserver son intégrité physique et empêchait donc mes lèvres d' approcher ses tétons. Risible lorsque l' on sait que durant ses sept mois de grossesse elle n' a jamais cessé de vendre son corps aux pires individus du quartier contre une poignée de billets verts. A croire que les fellations et autres sodomies étaient autrement plus acceptables que de nourrir son chiard, comme elle aimait à me surnommer alors. Lorsqu' elle est morte il y a six ans, je me souviens avoir senti perler une larme sur ma joue gauche lors des funérailles. De joie ou de tristesse je ne m' en souviens plus. Déjà trop défoncé à l' époque, je portais en permanence un treillis aux nombreuses poches à l' intérieur desquelles on pouvait trouver toutes sortes de médicaments mais pas un seul capable de vous soigner d' un mal de tête ni d' une envie de vomir. Que des bombes a retardement que je mêlais invariablement à d' autres afin que les effets se ressentent au plus vite et surtout, le plus longtemps possible.

Sept mois. Ouais. Prématuré. Sans doute en avais-je marre de baigner dans le liquide amniotique de ma génitrice. Rétrospectivement, je devais sans doute m' offusquer de voir tanguer d' horribles nuages de foutre et les sentir venir frôler ma peau encore vierge de toutes digressions extérieures.

Mon père? Encore faudrait-il que je puisse lui donner un prénom parce qu' avec les nombreuses "relations" de ma mère, cette dernière n' a jamais été capable de me dire qui il était et surtout ce qu' il était devenu. Sept mois à sortir du ventre de ma mère mais beaucoup moins sans doute pour mon paternel qui en constatant l' effroyable vérité avait dû prendre ses jambes à son cou pas même une semaine après le début de mon évolution dans le ventre de maman. Vu les antécédents de la vieille je ne vois pas un seul de ces décortiqueurs d' esprits que sont les psychiatres être capable d' opérer en moi un changement radical dans ma vision de la vie. Ceux qui me voient comme un étranger ne me donnent que très peu d' années à vivre encore et les autres, la famille et mon entourage proche ne m' en donnent guère plus. Que des pessimistes je vous le dis. Je suis le seul à garder l' espoir d' en avoir encore pour un long moment. Parce que tant que mon esprit parviendra à se vider des monstruosités qu' engendre la société dans laquelle je vis, mon corps devra être capable de suivre la même voie. Je ne sais de mon père que ce que les évasions délirantes d' une mère schizophrène ont bien voulu m' offrir. Sans avoir ne serait-ce qu' un début de réponse quand à son identité, je savais qu' il buvait. Trop. Et mangeait. Trop peu. L' alcool emplissait ses veines d' un poison qui pourrissait l' existence des rares amis qu' il avait et dont le cercle se tarissait au fur et à mesure de ses accrochages. Les delirium tremens jonglaient gentiment avec les comas éthyliques que les plus alcooliques de ses relations lui jalousaient. De l' argent, il en avait beaucoup et c' est ce qui avait tout d' abord séduit ma mère. Un héritage d' après ce qu' elle me disait alors. Une bonne partie avait été engloutie dans l' alcool que mon père buvait de manière métronomique alors que le reste disparaissait dans les veines de la vieille qui n' arrivait plus à réfréner son besoin d' oublier son corps à l' unique profit de son esprit.

Dire que j' ai dû me débattre pendant ma croissance dans le ventre de la vieille est un doux euphémisme. Étrange cocktail que les relents alcoolisés du père ingrat et des substances hautement toxiques de la mère se mêlant au liquide amniotique dans lequel je baignais. Lorsque je suis sorti du trou, mon père s' était fait la malle depuis longtemps et la vieille, défoncée, n' avait eu besoin d' aucune péridurale pour calmer le douloureux passage du fiston du sombre à la lumière. Parait que je n' ai pas poussé un cri au sortir de l' enfer. Une infirmière aurait dit de moi que j' étais blanc comme la mort alors qu' une autre se voyait déjà me transporter jusqu' à la première benne à ordures afin de m' y jeter. Pourtant, la barbaque d' un kilo huit cent était bien vivante. Bien plus qu' aujourd' hui sans doute et j' eu la chance d' avoir comme médecin un homme compétent qui me frappa le premier en me prenant par les pieds et en me secouant comme une poupée de chiffon. Les murs parait-ils auraient conservé jusqu' à présent l' écho du cri que je poussais alors, mes poumons s' ouvrant enfin vers le monde des vivants. Premiers instants de vie et sans doute les plus heureux. Deux femmes en blouse blanche s' intéressant à mon petit corps désarticulé, malingre et rouge vif. Enfermé dans un sarcophage transparent, des tuyaux enfoncés profondément dans le nez et de larges pastilles collées sur le torse, je ne peux qu 'imaginer ces images dont je n' ai jamais eu aucun souvenirs. Les premiers que mon esprit a conservé dans sa boite rouillée sont les mains rugueuses et le regard implorant mon décès de la vieille. Elle pleurait mon arrivée tout en espérant mon départ prochain. Je devais lui rappeler sans cesse mon paternel qui avait fuit et elle n' avait d' autre but, à part la drogue, que de me le faire sentir. Jusqu' à mes huit ans elle avait inventé sous l' effet des drogues, des jeux d' une perversité incroyable. Les bains qu' elle me faisait prendre dans la baignoire de la salle de bain tournaient irrémédiablement au chaos. Après des débuts prometteurs durant lesquels elle me lavait soigneusement la tête au shampooing avant de s' activer sur mon corps à l' aide d' un immense savon de Marseille, elle finissait toujours par grogner avant de m' enfoncer le visage sous l' eau. Elle qui avait toujours refusé de partager son lait maternel avec moi me forçait à boire de larges rasades d' une eau savonneuse infecte. J' avais appris seul à retenir ma respiration mais la vieille, toujours sous l' emprise de l' héroïne, avait elle aussi appris une chose. Que plus je retenais ma respiration et plus elle devait me maintenir la tête sous l' eaux. C' était toujours à celui qui résistait le plus longtemps et à ce petit jeu elle gagnait tout le temps. Je me réveillais presque à chaque fois allongé sur mon lit, nu et presque sec. Je rêvais d' imaginer que maman prenait le temps de m' essuyer durant ma perte de connaissance pour que je ne prenne pas froid mais en vérité la nature suivait son cours et c' était seules que les gouttelettes s' évaporaient pour ne laisser qu' un corps lisse, inerte et respirant faiblement...

"Sur la vitre teintée de la petite table du salon repose un paquet de mes cibiches préférées qu' accompagne toujours un briquet rouge. Ne me demandez pas pourquoi il lui faut revêtir à chaque fois la même robe mais je ne supporte jamais d' avoir en ma possession un objet qui ne colle pas totalement aux teintes sanglantes du paquet de mes cigarettes adorées. Je ri d' idolâtrer ainsi ces dernières puisqu' elles finissent toujours éventrées de leur contenu qui lui se retrouve inévitablement transvasé dans des feuilles aux dimensions capables d' en accueillir la totalité ainsi que d' autres corps étrangers qui une fois inhalés corrompent un brin mes facultés intellectuelles. C' est d' ailleurs le but ultime recherché par mes anciens compagnons de défonce et moi-même. Moi, qui depuis plus de trois ans maintenant ai décidé de ne plus partager la moindre herbe ni la moindre ligne avec quiconque. Ça n' est pas que je sois devenu particulièrement égoïste mais à force d' en voir certains dégueuler leur déjeuner sur mon canapé-lit après un mauvais trip et d 'autres voyager dans des contrées bien trop éloignées des miennes, j' ai fini par me demander qui étaient tous ces types qui venaient frapper à ma porte à longueur de journée, le regard moribond de ceux qui attendent la mort avec fatalité. J' ai surtout compris que l' intérêt qu' il me portaient s' appelait shit, beuh, coke et non pas Allen..."

29 mars 2008

Méta...

" Maman, je ne veux plus aller à l'école. Ils ne m'acceptent pas, maman, ils disent que je suis différent. Sans cesse ils m'appellent E.T ou Frankenstein.
- C'est de la jalousie mon fils.
- Jaloux ? Mais comment pourraient-ils être jaloux de moi ? Jaloux de ma couleur de peau alors que je dois vivre sans cesse à l'ombre pour éviter la brûlure du soleil ? Non, ils me rejettent seulement. Je n'ai aucun ami, maman.
- Et Léa, cette jeune fille si jolie et gentille dont tu me parlais tant...

Le jeune garçon se raidit.
" Si j'avais des larmes, j'en pleurerais. Hélas, la nature a fait de moi un être tari. Léa, il y a quelques jours a pris ma main et a voulu m'embrasser. A peine a-t-elle effleuré mes lèvres qu'elle a poussé un cri d'horreur. D'horreur maman, est-ce que tu entends mes mots ? Elle a dit que ma peau était froide, qu'elle avait la sensation d'embrasser un reptile.
- Comme il est dûr pour une mère d'apprendre que son fils est rejeté. Tu devrais être admiré, adulé, toi, si brillant par rapport à eux.
- Je n'ai aucun mérite. Tout s'enregistre très vite dans ma tête. Si vite même... que j'en ai mal. D'ailleurs, ces migraines ne cessent presque plus.
- Des migraines ? Oh, mon dieu... montre-moi tes yeux !

Elle prend entre ses longs doigts effilés le petit visage si pâle aux yeux trop clairs.
- Comment te sens-tu?
- Fatigué. De plus en plus fatigué.
- Oui
- Crois-tu que je grandis ?
- Oui mon fils, tu grandis...

Les doigts de sa mère glissent sur ses joues et il réprime un frisson.

- Tu as mal?
- Depuis quelques jours, ma peau devient plus sensible, douloureuse même, comme si un liquide acide coulait en dessous.

Elle se redresse, comme mue par un sentiment d'urgence, cherche des yeux son mari, l'appelle... " Viens, s'il te plaît, viens vite !"
- Qu'est-ce qu'il y a maman ? s'inquiète le jeune garçon
Mais elle ne semble pas l'entendre et appelle son homme:  "Viens vite, supplie-t-elle, je crois que ça a commencé !"
- Qu'est-ce qui a commencé ? Maman, explique-moi !

- Rien d'anormal, mon fils, dit alors l'homme qui approche, d'une voix grave et posée.
- Suis-je malade ?
- Regarde.

Pour la première fois sous les yeux de son fils, il relève ses longues manches et pose la paume de la main de l'enfant sur son avant bras. Sous cette peau glabre, presque glacée, quelque chose pulse, comme une énergie contenue.
L'enfant sursaute: " Ta peau, papa... ta peau..."
- Mon fils, cela sera un jour ta force.
- Je ne comprends pas et j'ai peur...
- Nous avons voulu  te préserver le plus longtemps possible, que ta vie soit normale... Nous ne pensions pas que cela arriverait si vite.
- Mais qu'est-ce qui arrive ? Qu'est-ce qui m'arrive ?
- Ta métamorphose mon fils. Tu vois, tes amis avaient raison: nous ne sommes pas de cette Terre. Aujourd'hui, nous allons devoir te cacher. Nous allons quitter cette ville, très vite afin que tu puisses devenir celui que tu dois être.
- Celui que je dois être?
- Ce sera long, long et douloureux. mais c'est ainsi que les choses doivent s'accomplir.
- Qui suis-je, papa ? D'où est-ce que je viens ? D'où venons-nous ?
- Plus tard mon fils. Maintenant, tu dois te reposer, tu dois dormir, tu dois beaucoup dormir. Lorsque l'heure sera venue, tu sauras tout cela... et quelle est ta Mission.

                                                                                                     A.

9 mars 2008

Le palais des délices

Les parfums diffusés dans l' air l' ont poussée jusqu' à la devanture de cette boulangerie qui vient jusque dans l' intimité de ses nuits la tarauder elle qui se croit si ronde alors qu' elle n' a jamais été aussi frêle. De ses rêves elle ne conserve que les couleurs et les formes, et le reste, elle doit le chercher dans cette galerie où disquaires, vendeurs de fanfreluches et autres commerçants se côtoient à travers une multitudes de vitrines derrière lesquelles les apparences sont parfois trompeuses et qui cachent malgré un décor chaleureux, un désir profond de toujours vendre plus.

Son nez profilé comme celui d' une professionnelle en parfumerie, elle se laisse porter par les odeurs chaudes du pain qui sort tout juste du four traditionnel, comme une trace invisible flottant dans l' air. Elle n' est pas la première à s' être présentée ce matin. Une longue file, de celles qui voient des centaines de fans attendre leur idole devant une salle de concert, ils sont tous là à attendre que la lourde grille d' acier se mette à grincer et vienne à disparaître au dessus de leur tête. Comme tous ceux qui comme elle attendent de pouvoir poser le regard sur les étals du boulanger, elle trépigne d' impatience, sautillant d' un pied sur l' autre comme prise d' une folle envie d' aller soulager sa vessie. Certains la jaugeant d' un regard étonné, les autres bien trop absorbés dans l' attente de voir enfin s' ouvrir les portes du "palais des délices" s' assurant ainsi de ne pas se faire prendre leur place par un petit malin trop pressé et plus gourmand encore qu' ils ne le sont eux-mêmes.

Lorsque la boulangerie ouvre enfin ses portes, chacun se presse contre celui qui le précède, comme si le moindre espace entre eux pouvait profiter à une tierce personne qui trouverait là le moyen de gagner une place dans la file d' attente. Notre jeune femme que le miroir de sa salle de bain pousse à se voir toujours trop arrondie à son goût ne fera pas demi-tour aujourd'hui. Elle ira jusqu' au bout, sans reculer, tentera sa gourmandise en regardant avec insistance ce qu' elle n' ose lorgner jusqu' à l' obsession que dans ses rêves. Les quelques centaines de mètres qui la séparent du bien être de son appartement et de ce lieu qu' elle pense être celui de débauches culinaires, elle l' a passé à s' assurer qu' elle avait bien sur elle ce petit porte monnaie plein de pièces, véritables sésame lui ouvrant les portes du palais.

Ils sont une quinzaine à la précéder. Quinze, c' est quinze de trop. Son estomac n' y tient plus. Se pourrait-il qu' elle puisse passer avant tous le monde elle qui eu le courage pendant tant de temps de faire demi-tour et de ne pas céder à la tentation ? La comprendraient-ils ces individus dont elle ne connaît pas même les noms si jamais elle se lançait dans une diatribe afin d' avoir la faveur d' être la première à être servie ?

Et pourtant, elle est de ceux qui pourront dans l' attente de leur tour, profiter du régal multiforme et multicolore des mets entreposés derrière les rayonnages sans se sentir pressés par les souffles impatients de ceux qui attendent...à l' arrière.

Elle peut enfin retrouver ces rêves qu' elle a partiellement effacés de sa mémoire, mêlant enfin aux couleurs et aux formes, le reste, ce que son corps et son esprit lui refusaient jusqu' à maintenant et que sa mémoire imprimera pour le restant de sa vie.

L.

8 mars 2008

L'échappée

Emma éprouve une étrange sensation à se trouver là, assise derrière cette vitre un peu sale et à les observer.
Bien sûr, ils ne la voient pas, ne l'imaginent même pas à cet endroit, comme ils ne l'imaginaient jamais, d'ailleurs, même quand elle était parmi eux.
A présent, à quelques dizaines de mètres d'eux, elle joue la voyeuse, et cela lui plaît bien...

Dans le dos de la surveillante, Paul et Alexandra échangent un long baiser de cinéma, oubliant un instant le brouhaha et l'agitation, se croyant seuls au monde. Deux mois déjà qu'ils sont ensemble, lui le cancre, le play-boy de service au sourire carnassier et elle, la forte en thème dont personne hormis Paul, n'a jamais vu les yeux, cachés sous une frange épaisse. Cet amour insolite dont les gavroches aux tignasses hirsutes se sont gaussé les rend touchants aux yeux d'Emma
Quant-aux autres, plus elle les regarde, plus elle les trouve... pitoyables et grotesques.
Les "Trois Grâces", comme Emma les appelle, redessinent le contour de leurs yeux à grand coup de rimel tandis-que Tanguy s'amuse à courir autour d'elles, les bousculant,  provoquant leurs insultes... Il est vite rejoint par la tribu des skatteurs. plus à l'aise dans l'extrême adhérence au sol de leurs Van's que sur leur planche à roulettes.
Sur le quai, les voyageurs s'éloignent aussitôt en jetant vers la toute jeune surveillante des regards désapprobateurs et sévères. Alors, dans un sursaut d'autorité qui n'impressionne personne, elle hurle...
Ses mots stridents, à la limite des ultra-sons,  Emma ne les entend pas, elle les devine. Ils sont les mêmes depuis ces trois ans qu'elle partage avec les jeunes de son âge ce périmètre de platanes et de béton.

Emma essuie du bout des doigts la buée que fait son souffle sur la vitre.
Aujourd'hui encore plus qu'avant, elle se sent étrangère à eux.
Elle ne peut même pas dire qu'elle ne les aime pas.
Ne pas aimer, c'est déjà penser, peser un sentiment.
Trois ans déjà qu'ils s'agitent autour d'elle... et sans la "calculer".
Emma s'amuse en pensant à ce mot devenu à la mode.
A vrai dire, ils l'ont pourtant "calculée"... à leur façon.
Ils ont calculé le nombre de tâches de rousseur sur son petit minois, calculé la taille de ses pieds, calculé le nombre de zéros pointés obtenus en mathématiques, calculé ses absences les premiers jours de rentrée, calculé le désert infini de sa vie affective et la côte désespérément basse de sa popularité...

Madame Ducamp vient d'arriver, tenant à bout de bras quelques carnets, créant ainsi une bousculade générale...
Assis au pied de leur sac, la bande à Guillaume se dépêche d'éteindre la cigarette qu'ils se sont fait passer de doigts en doigts, de bouche et bouche, sans même prendre du plaisir... mais même à l'extérieur, faut assumer le genre qu'on se donne.
Un instant, les yeux d'Emma s'attardent sur ceux de Nicolas, perdus, noyés...
Nicolas, une île, son île dans l'océan du collège.
Tout à l'heure, elle lui a dit "je reviens"... Elle aurait pu lui dire "Viens..."
Mais c'était trop risqué.
Emma se blottit contre le siège de velours bleu usé et ferme les yeux.
Déjà, les portières se referment... un coup de sifflet...  Les wagons tressautent et grincent, comme les articulations un peu rouillées d'un pachyderme que l'on aurait réveillé après une long sommeil... et lentement, très lentement, le train s'ébranle pour une destination qu'elle ne connaît pas.
Quelques minutes plus tard, à peine, la meute des collégiens va monter dans ce train qui partira dans l'autre sens, vers les châteaux de la Loire.
Seul, le sac d'Emma restera sur le quai.
C'est à ce moment là qu' ils s'apercevront qu'elle manque à l'appel...
Seulement à ce moment là...
Mais déjà, elle sera loin...

                                                                                                                                              A

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8 mars 2008

En manque...


A cette heure tardive où tout le monde rentre, il est sorti de chez lui.

A quel rendez-vous est-il si pressé de se rendre, lui qui, misanthrope, se terre chaque jour davantage dans une solitude d'où personne, et encore moins ses amis d'autrefois, ne cherche plus à le faire sortir?

Il se presse, fébrile, remonte à contre- sens le fleuve humain, bousculant ça et là quelques piétons distraits, esquissant un "pardon" que personne n'écoute.
Les assauts de son coeur ébranlent sa poitrine. Il se demande s'il n'est pas trop tard, s'il pourra arriver à temps....
Ses pensées, tout comme son ombre allongée que décline sur l'asphalte encore tiède la lumière des réverbères jaunes, devance un peu ses pas...

Enfin, la foule s'éparpille comme son coeur s'emballe... Il est comme un junky, en manque, en attente de sa dose, électrique...

Plus que cinquante mètres... juste au bout de la rue...
Il se sent étranger et presque vulnérable sur ce trottoir étroit désormais déserté par les hommes.

A-t-il encore le temps ?

Quelque part, il entend déjà grincer le lourd rideau de fer qu'un commerçant referme.
Une cloche enrouée tousse les dix-neuf heures...

Des yeux, il cherche la lumière...

Il la voit
Elle est là...
Comme si elle l'attendait.

...

Il est entré...

En quelques secondes, le parfum de l'encre et du papier pénètre ses narines. Il se sent chez lui, apaisé.
C'est tout juste s'il salue d'un mouvement de tête l'homme qui, près de la caisse, s'apprêtait à fermer sa boutique.
Il ne regarde plus que devant lui, dans les rayonnages de bois, ces jaquettes et ces couvertures alignées qu'il connait déjà toutes par coeur.
Des doigts il les effleure, cherchant du regard celle qu'il n'a pas encore.
Ici le rêve... plus loin le fantastique...
Il attend et espère cette étrange sensation qui accompagne la découverte du nouveau roman d'un écrivain qu'il aime.

Soudain, il retire un livre de son rayon, en caresse la tranche et cette couverture mate aux couleurs délavées, l'entrouvre... Il ne peut s'empêcher d'approcher son visage, d'en respirer le parfum qui dort au creux des pages... Des pages un peu jaunies, juste comme il les aime et dont l'oxydation adoucit le dessin noir des lettres... Ces lettres, il les aime petites, comme s'il avait besoin d'aller, lui, vers les mots et non qu'eux viennent à lui.

Entre les pages, le rêve...

aSur la quatrième de couverture, l'esquisse de ce rêve... une promesse... et déjà il plonge.
Il l'a choisi comme une femme aimée qui partagera sa solitude et l'accompagnera un moment dans sa vie.

... et lorsqu'il reprend le chemin du retour, le livre serré contre lui, sous la lune ronde immobile, on dirait enfin qu'il sourit.

                                                                                                        A                                                               

25 février 2008

HOMICIDE

1ère Partie

C' est de l' immeuble d' en face que cet homme que je déteste sans pour autant le connaître s' accoude sur la balustrade de son luxueux appartement. Je le déteste parce que le rituel auquel il s' adonne n' est pas celui de fumer une cigarette en prenant l' air et moins encore de remplir ses poumons d' un bon bol d' oxygène. Non, la raison pour laquelle un tel individu ne fera jamais partie de mon carnet d' adresse est qu' il a pris la fâcheuse habitude de placer son regard derrière une paire de jumelles. Chaque soir en effet, fidèle à ce qui semble être une obsession, il éteint les lumières du salon pour disparaître aux yeux du monde dans la noirceur du début de soirée et regarde dans l' objectif grossissant de sa "compagne" binoculaire afin de laisser libre cours à ses penchants de voyeurisme.

Je me souviens de cette toute première fois où je l' ai vu. Peut-être avait-il déjà l' habitude de pratiquer ce rite immuable depuis très longtemps et j' eu comme un frisson à l' idée qu' il devait épier chacun de mes gestes sans que j' en ai le moindre doute. Je retrouvais alors l' esprit de très lointains ancêtres en mettant de coté mon intelligence pour retrouver cet état primaire et juger cet homme de "vieille tante" avant de comprendre que je n' étais pas l' objet de ses fantasmes. Sa victime était Marie, la voisine qui vivait juste en dessous de chez moi et dont les charmes malgré l' âge avancé excusaient presque la fébrilité de l' homme d' en face qui avait dû un soir d' été tomber sur elle alors qu' elle devait se promener dans son appartement simplement vêtue d' un léger voile de tissu. Je l' avais déjà vue moi aussi en petite tenue et j' avoue avoir ressenti une boule de chaleur descendre alors jusque dans mon entre-jambes. Mais de là à pousser le vice jusqu' à l' épier chaque nuit...

Depuis cette toute première fois où je l' ai aperçu regarder vers notre immeuble à Marie et moi, des mois ont passé et j' ai cessé depuis de compter les jours. Cette nuit pourtant, il est déjà plus de une heure du matin et l' homme n' a toujours pas fait surface. Habituellement toujours à l' heure, il est en retard d' une bonne heure ce qui n' est pas dans ses habitudes. Il y a environs deux semaines, je n 'ai pu m' empêcher d' acheter une paire de jumelle en chinant dans une broquante du quartier d' à coté pour à mon tour sortir sur le balcon le soir et me lancer dans une enquête personnelle. Payée une poignée d' euros, je regrette désormais de ne pas m' en être procuré une paire plus chère mais nantie d' infrarouges qui m' auraient permis de scruter dans la nuit l' homme qui me faisait habituellement face. Les yeux mis-clos, je force le regard pour tenter de percevoir dans l' obscurité le moindre détail qui confirmerait la présence du voyeur chez lui. Mais rien. Absorbé par ma volonté de comprendre, j' ai alors à peine conscience du bruit sourd qui se produit dans l' immeuble.Évidemment je suis incapable de dire d' où il provient et de toute manière cela n' a pas de réelle importance tant que je n' arriverai à savoir où est passé l' homme d' en face.

Deux heures du matin. Toujours rien.L' espace entre l' immeuble d' en face et le mien restait désespérément vide. Pas le moindre mouvement ni encore moins le moindre bruit ne venait déranger cette nuit de pleine Lune. Marie qui habituellement écoute une musique tonitruante dès son retour du travail vers minuit sans se fier à l' heure tardive ni aux voisins semblait absente ce soir. Allongé sur le sol, l' oreille collée à la moquette épaisse du salon, j' essayais de percevoir le moindre son venant de son appartement mais seul le silence semblait pouvoir répondre à ma curiosité. Épuisé par ces heures d' attente, je rangeais alors les jumelles dans leur boite avant de placer cette dernière dans le tiroir du salon qui lui est dévolu. Après avoir bu un grand verre d' eau je me dirigeais vers la chambre sans même penser à me laver les dents et m' allongeais tout habillé au dessus du lit défait de la veille. L' oeil pointant vers le plafond, une foule de sensations traversa mon esprit. D' abord l' incompréhension. Comment expliquer l' absence de l' homme qui depuis des mois pourtant n' avait jamais cessé de s' intéresser à Marie ne laissant pas un seul jour passer sans avoir été jeter un regard sur son intimité? Ensuite la jalousie. En effet, se pouvait-il que le soir même où l' homme n' était pas venu sur son balcon Marie soit sortie ? Je les imaginais ensemble, buvant un verre, collés l' un à l' autre, partageant même une cigarette et pourquoi pas...La couche de l' homme. Enfin l' inquiétude car au fond, je ne pouvais chasser l' idée que l' absence de l' homme et le silence de Marie étaient liés. J' avais presque envie de descendre les quelques marches qui séparent nos appartements pour sonner à sa porte et m' assurer que tout allait bien.Et puis, je me suis dis qu' il suffisait d' attendre quelques heures, juste le temps que le soleil fasse son apparition et que tout rentrerait dans l' ordre.

2nd Partie

Je m' étais éveillé au petit matin avec un mal de crâne intense.Comme si une foreuse avait agonisé dans un râle atroce à mes cotés durant les quelques heures de sommeil que je m' étais octroyées. Comme si les idées ressassées la veille avaient créées un embouteillage dans le complexe réseau neuronal de mon cerveau l' empêchant ainsi de s' oxygéner convenablement. Je n' avais pas eu la patience d' attendre que l' astre solaire vienne caresser ma joue gauche comme il avait l' habitude de le faire chaque matin.Je m' étais levé d' un bond, avais pris un petit noir serré et étais monté me changer, toujours sans me donner la peine de prendre soin de mes trente deux dents qui finiraient un jour par se compter sur les doigts d' une seule main à ce rythme là.Je décidais tout de même d' attendre les huit heures pour venir sonner à la porte de Marie avec toujours cette même idée entêtante qu' elle pouvait être accompagnée par l' homme d' en face. Les secondes s' égrenaient lentement, forçant ma patience à tenir bon. Dans le silence de l' appartement, seul le bruit crispant de mes dents serrées signifiait ma présence. Telle une statue d' argile, je n' esquissais pas le moindre mouvement. les yeux planqués derrière la paire de jumelles dont le boîtier reposait sur la petite table tasse de verre du salon, j' insistais à nouveau sur le fait que tout n' était que le fruit de mon imagination. Pourtant, malgré ma persistance à vouloir repérer un signe, même le plus petit, l' idée qu' il était arrivé quelque chose cette nuit-là me harcelait comme le goût cuivré du sang qui emplit la bouche et dont on arrive plus à se débarrasser.

Lorsque le moment de me rendre chez Marie arriva, dans l' escalier un ouragan sonore avait remplacé le silence nocturne. La porte d' entrée de l' appartement d' en face était ouverte et son occupante était appuyée contre la rambarde des escaliers, penchée et lorgnant discrètement vers l' étage du dessous. Alors qu' elle semblait hypnotisée par ce qui se déroulait sous ses pieds, elle ne vit pas son persan prendre la fuite en toute discrétion, longeant le mur derrière elle en la contournant avant de poser sa patte avant droite sur la première marche menant à l' étage du dessous. Je n' avais personnellement pas envie de la voir ni plus encore le désir de lui adresser la parole mais ma curiosité mise à mal fut la plus forte et j' ouvrais alors la porte d' entrée pour m' engouffrer dans le couloir. Ce qui devait être en train de se dérouler en bas semblait fort intéressant puisqu' aussi bavarde qu' elle l' était habituellement, la voisine ne détourna pas un instant son regard vers moi et j' en profitais alors pour me précipiter vers l' escalier dont je descendis les marches quatre à quatre. Sur le pallier de Marie, des hommes en civil discutaient entre eux.J' arrivais à peine à distinguer les propos qu' ils échangeaient tant le brouhaha était dense. Quelques mots s' échappaient parfois et me piquaient au vif comme une aiguille : Sang, couple, morts......MORTS !!!

Je me surprenais à espérer que le mot devait se comprendre au singulier. Il était pour moi impossible d' imaginer qu' il s' agissait de Marie et...De l' autre. Un flic en uniforme se tenait penché par dessus la rambarde de l' escalier.Il devait avoir rencontré un fantôme pour afficher un visage aussi blême. Un autre lança un regard intéressé dans ma direction avant de retourner à ses préoccupations. Je l 'entendis prononcer des phrases qui me déconcertèrent. Je compris par exemple que Marie s' appelait parfois.....Marlène ! Qu 'elle ne travaillait pas dans la publicité mais qu' en réalité elle usait de ses charmes, les mêmes que ceux qui avaient attiré le désir du type d' en face, pour une poignée d' euros. J' étais sous le coup de l' émotion. Comment avait-elle pu me tromper? Cette histoire sentait décidément le roussi. Je préférais retourner dans mon appartement afin de digérer ce que je venais d' apprendre. Ça n' était pour moi pas le moment d' afficher une mine défaite quand la police est si suspicieuse lorsqu' il s' agit d' affaires criminelles.

De retour dans l' appartement, j' ouvrais le robinet d' eau froide de la salle de bain et offrais au miroir l' image d' un homme désabusé et fatigué.J' avais, l' espace d' un instant, pris plusieurs années et mon visage creusé de rides semblait s' effondrer sur lui-même avant qu' une larme ne vienne s' écraser sur la commissure de mes lèvres...

A suivre...

L.

24 février 2008

MARLENE

Marlène travaille chaque soir au bar " Le Boléro". Chaque soir, enfermée dans la loge trop petite pour les accueillir elle et les autres danseuses, elle quitte ses frusques pour revêtir les quelques grammes de tissus qui ne recouvrent de son corps que le plus précieux et monte sur la scène enfumée de ce lieu où se retrouvent les plus étranges spécimens de l' espèce humaine. Sans motivation elle courbe son corps dans une danse féline qu' elle connaît par coeur.On est loin des chorégraphie à la Maurice Béjart mais elle tente de se convaincre que les quelques feulements et autres halètements qu' elle pousse de manière mécanique pousseront certains des clients à lui glisser un billet ou deux entre l' élastique de son string et sa peau pailletée.

Le monde a changé de visage depuis longtemps lorsque Marlène rentre chez elle.Alors que beaucoup dorment les poings fermés, d' autres ne rêvent que de rencontres nocturnes pour ne pas finir seuls entre deux draps dans une chambre mal chauffée. Marlène marche vite, pressée d' en découdre avec le réfrigérateur qui contient encore quelques restes du repas de ce midi. Demain elle se l' est promis, elle ira à la supérette du coin faire des provisions. Il faut dire que l' on n' est pas à Las Vegas ici. Les pourboires sont rares, les clients radins ou fauchés.La plupart ne la regardent d' ailleurs se dandiner que d' un oeil morne lorsqu' elle danse devant eux, préférant s' assurer d' avoir devant eux un verre toujours plein. Marlène a du mal à joindre les deux bouts. Elle ne voit plus sa fille depuis que cette dernière est partie. Marlène n' est plus toute jeune. Elle n' a plus la possibilité de s' investir autant que par le passé. Ses rivales lui mènent la vie dure, tentent de la convaincre d' abandonner son métier, la poussent vers l' extérieur, mais elle tient bon. Oh pas par passion.Qui d' ailleurs pourrait aimer vraiment se donner en spectacle devant un parterre d' yeux lubriques et fatigués? Non, simplement parce que Marlène n' a pas d' autre choix que de retourner chaque soir dans ce bar pour subvenir à ses besoins. Ces derniers sont pourtant si misérables.Un frigo plein et les factures à payer.Pas de quoi pousser les gens à la jalousie.

Assise derrière le zinc de la cuisine américaine un verre de lait à la main, elle jauge la tapisserie rayée du séjour et pense qu' un jour il faudra passer par dessus une épaisse couche de peinture. Elle réalise soudain combien il est facile d' effacer certaines choses quand d' autres semblent devoir vous suivre jusqu' au dernier souffle. Sa famille, elle n' en n' a plus.De toute façon, les rares souvenirs qu' elle en a ont pour elle autant d' importance que ces cauchemars dont on se réveille et que l' on s' efforce d' oublier avant de fermer à nouveau les yeux. Le reste de Hachis vite ingurgité, elle a pris soin de ses cheveux et de ses dents en frictionnant les premiers et en brossant les secondes. La salle de bain est à l' image du reste.Comme son intérieur, comme sa vie ou encore son regard, elle est triste à pleurer. L' humidité semble être victime d' on ne sait quel sort puisque là où se pose le regard, de douteux dessins bariolent une tapisserie à l' origine d' un bleu uni. La chambre dans laquelle chaque soir Marlène vient se réfugier semble être la seule pièce à avoir un semblant de chaleur. Une simple lampe de chevet tamise les murs d' une aura chaleureuse alors que quelques vestiges comme cet ourson brun à l' oeil droit exorbité lui rappellent que désormais elle n' est plus vraiment seule. C' est avec toujours ce même empressement qu' elle ôte ses vêtements pour revêtir cette fois-ci ceux qui l' accompagneront le restant de la nuit. Allongée, elle fait sans réellement croire en Dieu, une prière pour le lendemain. Elle espère toujours entrevoir la lumière qui lui offrira des jours meilleurs. La photo de sa fille reposant comme à son habitude sur sa poitrine, elle éteint la lumière, ferme les yeux et attends que le sommeil l' emporte...

L.

21 février 2008

L'INTRUSION

J' ai perdu ma virginité avec celle d' en face.

Un jour, à force de l' entendre frapper sur sa vieille Hermès, j' ai frappé de fureur, moi, à sa porte, et cette dernière s' est refermée sur moi. Les doigts de ma geôlière ont joué sur ma peau et le silence revenu s' est enfin imposé.Du moins jusqu' à ce qu' un grand cri, le mien, vienne déchirer la nuit qui avait profité de mon absence pour venir recouvrir de son noir manteau l' appartement qui était le mien.De retour dans mon antre, je me suis posé un instant sur le bord de mon lit.Alors que les draps de la vielle rombière, qui ne semblait avoir d' autre intérêt pour moi que ce que cachait la toile fine de mon pantalon de velours élimé, étaient marqués désormais par nos ébats fougueux, les miens, dignes de ceux croisés dans une chambrée militaire, s' ennuyaient à mourir du désespoir d' y voir un jour poser ses fesses une gentes dame aux rondeurs felliniennes.

Un autre jour, peut-être seulement deux ou trois après mon escapade chez ma voisine, j' eu la désagréable surprise de trouver ma boite aux lettres encombrée des habituels prospectus publicitaires mais aussi et surtout d' un manuscrit sans titre et sans nom d' auteur.Un pavé de plus de cinq cents pages qui déjà faisait rugir mon estomac qui menaçait de réagir à travers un fulgurant ulcère si je ne me dépêchais pas de me débarrasser de ce que j' avais désormais entre les main.Afin de rassurer ce dernier, je déposais l' ouvrage sur la petite table de nuit en teck qui trônait à droite du lit aux draps depuis défaits, et décidais de me consacrer à bien d' autres choses que celle de me plonger dans sa lecture.Attablé dans la cuisine ou assis devant la télé dans le salon, je ne pouvais m' empêcher de lorgner vers la chambre, curieux de connaître ce que cachait la couverture vierge de ce "cadeau" qui m' avait été visiblement fait par erreur.Jusqu' au jour où j' eu le courage d' outrepasser la promesse faite à mon estomac et où je me glissais sous les draps avant d' allumer la petite lampe qui reposait sur la table de nuit et de prendre sur moi pour ne pas faire machine arrière alors que mes doigts se posaient sur la couverture du manuscrit...

Comme si je n' existais pas, un long frisson parcouru mon échine et de larges gouttes glacées serpentaient le long de ma colonne vertébrale jusqu' à la lisière de ma lune où elles moururent au moment où je réalisais que le contenu de ce que j' avais sous les yeux était l' histoire de ma vie.Je voyais défiler les moments "importants" de mon existence.Les sourires et les pleurs.Les moments tragiques et les autres, d' émotions.Je tenais là, entre mes mains et en substance, le squelette de ce qui avait été jusqu' à aujourd'hui ma vie.Cette fois je comprenais.J' arrivais presque à donner un nom à l' auteur de ce terrifiant ouvrage puisqu' à part la voisine d' en face, je n' avais comme visites que celles des nombreux démarcheurs qui osaient venir me déranger dans mes activités.Mais pourquoi donc avais-je la sensation de ne pas exister en parcourant ce manuscrit? Peut-être le sentiment de n' être l' objet que d' un fantasme de vieille femme esseulée qui, par ennui, passe des journées entières à noircir des pages blanches. A tel point que mon personnage semblait avoir pris forme au delà du format A4 de la rame qui devait invariablement accompagner sa vieille Hermès.

J' avais presque envie de retourner la voir.Juste pour être sûr.Et pourquoi pas sortir un peu, dehors, rencontrer d' autres gens, m' assurer auprès d' eux que j' existe.C' est drôle d' ailleurs.En y réfléchissant bien, je n' ai pas le moindre souvenir d' une vie autre que celle que je passe entre les quatre murs de cet appartement. Ou peut-être serais-je victime de l' un de ces maux que crée notre société et qui pousse très certainement beaucoup d' autres que moi à se terrer chez eux.En étant sous l' emprise de sa simple imagination, la voisine devait s' assurer mes faveurs sans contraintes de sa part. Ces dernières étant pour moi puisque si vraiment je n' existe que sur le papier, alors elle peut avoir de ma personne absolument tout ce qu' elle désire.Il suffit simplement pour elle de l' écrire et moi de m' effacer dans l' effroi d' imaginer un jour pouvoir la lasser et de finir en boule dans une corbeille à papiers. L' un des aspects comiques de ce constat fut d' imaginer que c' était désormais à moi de trouver l' inspiration pour lui convenir encore...un peu. Juste le temps de me libérer d' elle. Et si je faisais moi-même une boule de ce manuscrit qui finissait par me brûler les doigts? Pire encore. Si j' ouvrais la hotte du salon pour y allumer un grand feu dans lequel je déverserai, une par une, les pages de ma vie, me consumerai-je?

Au petit matin ce manuscrit ne sera plus.Peut-être aurai-je disparu dans les limbes d' une existence qui n' a jamais véritablement eu de raison d' être.Peut-être serai-je plus fort encore qu' aujourd'hui.Assez en tout cas pour affronter ceux que je fuis maintenant depuis tellement d' années, mes démons, mes congénères, ceux du dehors...Ou peut-être bien que celle d' en face n' aura jamais existé, comme le fruit d' un cauchemar, comme la main de cette mère qui est tombée si souvent sur mes joues et qui devint à force l' objet des pires craintes.

Qui sais?

Vous?

L.

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